Une famille arménienne
Dans l'entre-deux guerres, de nombreux Arméniens, comme d'autres immigrés, ont voulu prendre la nationalité française. Il leur fallait pour cela constituer un dossier et fournir de nombreux justificatifs. Les politiques de naturalisation ont souvent varié. Dans les années 30 les demandeurs devaient avoir vécu un certain nombre d'années sur le sol français. Les engagés ou les militaires de carrière ayant au moins un petit grade étaient favorisés. Un statut social supérieur : enseignant, médecin, religieux, facilitait l'acquisition de la nationalité. On peut consulter aux Archives Diplomatiques de Nantes les dossiers de demande de naturalisation d'Arméniens ayant transité par la Syrie et le Liban, protectorats français entre les deux guerres. Les renseignements contenus dans ces dossiers sont très inégaux. On n'y trouve parfois qu'un nom, une adresse. Il arrive, assez rarement, que le dossier soit conséquent, et encore plus rarement qu'il contienne des photographies du demandeur et de sa famille. Le dossier de Haig Partamian fait partie de ceux-là. Il se trouve dans le carton 121 de la référence 92PO/B. C'est un des dossiers les plus complets de ces archives. Les différents documents qui constituent le dossier ne sont pas classés et c'est au lecteur d'identifier les les informations et de les organiser afin de retracer l'histoire de la famille. Le demandeur, chef de famille, s'appelle Haig Partamian, fils de Ohannès Partamian et de Kadar Hadjian. Il est né à Marache (Turquie) en 1893. Une description précise qu'il mesure 1,60 m, qu'il a les cheveux noirs, les yeux marrons et le visage ovale. Ces renseignements figurent sur le Certificat d'identité établi par la Préfecture de l'Isère le 15 octobre 1930. La photographie sur le certificat le montre en costume de ville avec une cravate.
Des certificats d'identité, indispensables pour travailler en France.
Le certificat d'identité est établi pour un an par la Préfecture de l'Isère et permet au bénéficiaire de séjourner et de travailler sur le sol français. Il est renouvelable. Le timbre en haut à gauche du document fait référence à la reconnaissance du statut de réfugiés octroyé aux russes et aux arméniens, résolution adoptée le 12 mai 1926 et enregistrée le 2 mai 1929 à Genève par le Haut Commissariat aux réfugiés. Les russes et les arméniens étaient considérés comme victimes de guerre. Plus tard, ce statut a été élargi à d'autres catégories de réfugiés. Haig est marié et sa femme Sophie est née à Arabkir en Turquie en 1900. Son nom de jeune fille est Varjabedian. D'après un autre document les deux époux se sont mariés le 20 mai 1919 à Hamas en Syrie. Le dossier contient deux certificats de nationalité de Sophie, le premier daté de 1925, le second de 1930. Sophie est mécanicienne en confections, c'est à dire ouvrière, Haig est menuisier. Leurs trois enfants sont mentionnés sur le certificat de leur mère. Feriat est né à Marache en 1921, Kévork à Alexandrette en 1923 et Josèphe en 1926 à Vienne (Isère).
Deux photographies en très mauvais état sont présentes sur les deux certificats de Sophie. Elle est représentée avec ses enfants, Feriat et Kevork sur le document de 1925. Sur celui de 1930 on voit Feriat, Kevork et Josèphe. Installé à Vienne le couple francise les prénoms des deux aînés. Feriat devient Fernand et Kévork, Georges. Joseph perd le e à la fin de son prénom. Il faut remarquer que les orthographes des patronymes ne sont pas fixées. Sur les documents Partamian peut devenir Partanian. Fernand deviendra tourneur-mécanicien.
Un long périple
Avant de s'installer en Isère et de demander la nationalité française, les Partamian ont effectué un long périple. Les documents des archives indiquent qu'ils ont habité à Adana en Turquie de 1919 à 1920, puis à Marache, ville de naissance de Haig et de leur premier enfant. Ils séjournent à Alexandrette de 1922 à 1925, puis à Beyrouth d'octobre 1929 à février 1931. Ils reviendront brièvement dans cette dernière ville avant de s'installer définitivement à Vienne en Isère. Les villes citées sont indiquées par une flèche.
Carte extraite du manuel scolaire Géographie cours moyen, Mame, 1929 (coll. Marie Bertrand)
Demandes et ténacité
La première demande de la famille Partamian est ajournée le 21 novembre 1934 au motif que Haig et sa femme bénéficient de la nationalité libanaise et ne sont arrivés que récemment en France. En effet dans les années 30, cinq années de présence consécutive sur le sol français étaient exigées. Ce refus ne semble pas avoir entamé la détermination du couple. Un médecin certifie que la famille est en bonne santé. Haig envoie une lettre manuscrite à un ministre le 4 décembre 1937 témoignant de son désir de devenir français et de ses sentiments francophiles. Il fait établir par un greffier de Vienne un certificat de notoriété le 27 mars 1933.
Trois témoins sont mentionnés : KALOUSTANT Gulbenk, 23 ans, mécanicien, 43 rue Maugiron, Vienne TADJIAN Nicham, 22 ans, coiffeur, 21 rue Francisque Bonnier, Vienne DUDUMIAN Ohannès, rue Peyssonneau, Vienne. Ils déclarent bien connaître la famille.
Une issue favorable
La ténacité de la famille Partamian porte ses fruits. Le 20 février 1940 le préfet de l'Isère appuie une nouvelle demande de nationalité. Il évoque la résidence de la famille sur le territoire national depuis 1934, la bonne moralité des deux époux et les diplômes scolaires des deux aînés. Vu leurs modiques revenus, il propose de ne leur faire payer qu'1/10ème des droits de sceau. Quelques rares dossiers contiennent le document de naturalisation ou une mention de ce document. Ce n'est pas le cas pour la famille Partamian. Mais leur combat a connu une issue heureuse.
Lettre du préfet de l'Isère au Ministre de la Justice le 20 février 1940
Arbre généalogique de la famille Partamian :
Selon les documents la mère de Haig a deux patronymes différents. Les quatre grand-parents sont déclarés décédés en 1933 sans indication de date. Fernand est déclaré né en 1920 ou 1921.
Bibliographie :
Lotchak, Danièle, Qu'est-ce qu'un réfugié ? La construction politique d'une catégorie juridique, dans la revue Pouvoirs 2013/1 n°144
Kevonian, Dzovinar Réfugiés et diplomatie humanitaire. Les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l'entredeux guerres. Publications de la Sorbonne 2004.
Article rédigé par Marie Bertrand
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